RUGGIERI Ainsi, ma fille, vous avez consenti … lui d‚couvrir le secret de cette alc“ve. CATHERINE Elle dort. Je l'ai invit‚e … prendre avec moi une tasse de cette liqueur que l'on tire de fŠves arabes que vous avez rapport‚es de vos voyages, et j'y ai mˆl‚ quelques gouttes du narcotique que je vous avais demand‚ pour cet usage. RUGGIERI Son sommeil a d– ˆtre profond; car la vertu de cette liqueur est souveraine. CATHERINE Oui...Et vous pourrez la tirer de ce sommeil … votre volont‚? RUGGIERI A l'instant, si vous le voulez. CATHERINE Gardez-vous en bien! RUGGIERI Je crois vous avoir dit aussi qu'… son r‚veil toutes ses id‚es seraient quelque temps confuses, et que sa m‚moire ne reviendrait qu'… mesure que les objets frapperaient les yeux. CATHERINE Oui...tant mieux! elle sera moins … mˆme de se rendre compte de votre magie...Quant … Saint-M‚grin, il est, commes tous ces jeunes gens, superstitieux et cr‚dule: il aime, il croira...D'ailleurs, vous ne lui laisserez pas le temps de se reconnaŒtre. Vous devez avoir un moyen d'ouvrir cette alc“ve, sans quitter cette chambre? RUGGIERI Il ne faut qu'appuyer sur un ressort cach‚ dans les ornements de ce miroir magique. (Il appuie sur le ressort, et la porte de l'alc“ve se lŠve … moiti‚) CATHERINE Votre adresse fera le reste, mon pŠre, et je m'en rapporte … vous...Quelle heure comptez-vous?... RUGGIERI Je ne puis vous le dire...La pr‚sence de Votre Majest‚ m'a fait oublier de retourner ce sablier, et il faudrait appeler quelqu'un. CATHERINE C'est inutile; ils ne doivent pas tarder; voil… l'important...Seulement, mon pŠre, je ferai venir d'Italie une horloge;...je la ferai venir pour vous...Ou plut“t, ‚crivez vous-mˆme … Florence et demandez-la, quelque prix qu'elle co–te. RUGGIERI Votre Majest‚ comble tous mes d‚sirs...Depuis longtemps, j'en eusse achet‚ une, si le prix exorbitant qu'il faut y mettre... CATHERINE Pourquoi ne pas vous adresser … moi, mon pŠre?...Par Notre-Dame! il ferait beau voir que je laissasse manquer d'argent un savant tel que vous...Non...Venez demain, soit au Louvre, soit … notre h“tel de Soissons, et un bon de notre royale main, sur le surintendant de nos finances, vous prouvera que nous ne sommes ni oublieuse ni ingrate. Dieu soit avec vous, mon pŠre! (Elle remet son masque et sort par la porte secrŠte) SCENE II RUGGIERI, LA DUCHESSE DE GUISE, endormie RUGGIERI Oui, j'irai te rappeler ta promesse...Ce n'est qu'… prix d'or que je puis me procurer ces manuscrits pr‚cieux qui me sont si n‚cessaires...(Ecoutant) On frappe...Ce sont eux. (Il va refermer la porte de l'alc“ve) D'EPERNON, derriŠre le th‚ƒtre Hol…! h‚! RUGGIERI On y va, mes gentilshommes, on y va. SCENE III RUGGIERI, D'EPERNON, SAINT-MEGRIN, JOYEUSE D'EPERNON, … Joyeuse, qui entre appuy‚ sur une sarbacane et sur le bras de Saint-M‚grin Allons, allons, courage, Joyeuse! Voil… enfin notre sorcier...Vive Dieu! mon pŠre, il faut avoir des jambes de chamois et des yeux de chat-huant pour arriver jusqu'… vous. RUGGIERI L'aigle bƒtit son aire … la cime des rochers pour y voir de plus loin. JOYEUSE, s'‚tendant dans un fauteuil Oui; mais on voit clair pour y arriver, au moins. SAINT-MEGRIN Allons, allons, messieurs, il est probable que le savant Ruggieri ne comptait pas sur notre visite. Sans cela, nous aurions trouv‚ l'antichambre mieux ‚clair‚e... RUGGIERI Vous vous trompez, comte de Saint-M‚grin. Je vous attendais... D'EPERNON Tu lui avais donc ‚crit? SAINT-MEGRIN Non, sur mon ƒme; je n'en ai parl‚ … personne... D'EPERNON, … Joyeuse Et toi? JOYEUSE Moi? Tu sais que je n'‚cris que quand j'y suis forc‚...Cela me fatigue. RUGGIERI Je vous attendais, messieurs, et je m'occupais de vous. SAINT-MEGRIN En ce cas, tu sais ce qui nous amŠne. RUGGIERI Oui. (D'Epernon et Saint-M‚grin se rapprochent de lui. Joyeuse se rapproche aussi, mais sans se lever de son fauteuil) D'EPERNON Alors toutes tes sorcelleries sont faites d'avances; nous pouvons t'interroger, tu vas nous r‚pondre? RUGGIERI Oui... JOYEUSE Un instant, tˆte-Dieu!...(Tirant … lui Ruggieri) Venez ici, mon pŠre...On dit que vous ˆtes en commerce avec Satan...Si cela ‚tait, si cet entretien avec vous pouvait compromettre notre salut,...j'espŠre que vous y regarderiez … deux fois, avant de damner trois gentilshommes des premiŠres maisons de France? D'EPERNON Joyeuse a raison, et nous sommes trop bons chr‚tiens!... RUGGIERI Rassurez-vous, messieurs, je suis aussi bon chr‚tien que vous. D'EPERNON Puisque tu nous assures que ta sorcellerie n'a rien de commun avec l'enfer, eh bien, voyons, que te faut-il, ma tˆte ou ma main?... RUGGIERI Ni l'une ni l'autre; ces formalit‚s sont bonnes pour le vulgaire; mais, toi, jeune homme, tu es plac‚ assez au-dessus de lui pour que ce soit dans un astre brillant entre tous les astres que je lise ta destin‚e...Nogaret de la Valette, baron d'Epernon... D'EPERNON Comment! tu me connais aussi, moi?...Au fait, il n'y a rien l… d'‚tonnant...Je suis devenu si populaire! RUGGIERI, reprenant Nogaret de la Valette, baron d'Epernon, ta faveur pass‚e n'est rien auprŠs de ce que sera ta faveur future. D'EPERNON Vive Dieu! mon pŠre, et comment irai-je plus loin?...Le roi m'appelle son fils. RUGGIERI Ce titre, son amiti‚ seule te le donne, et l'amiti‚ des rois est inconstante...Il t'appellera son frŠre, et les liens du sang le lui commanderont. D'EPERNON Comment! tu connais le projet du mariage...? RUGGIERI Elle est belle, la princesse Christine! Heureux sera celui qui la poss‚dera! D'EPERNON Mais qui a pu t'apprendre?... RUGGIERI Ne t'ai-je pas dit, jeune homme, que ton astre ‚tait brillant entre tous les astres?...Et maintenant … vous, Anne d'Arques, vicomte de Joyeuse; … vous que le roi appelle aussi son enfant. JOYEUSE Eh bien; mon pŠre, puisque vous lisez si bien dans le ciel, vous devez y voir tout le d‚sir que j'ai de rester dans cet excellent fauteuil, si toutefois cela ne nuit pas … mon horoscope...Non? Eh bien, allez, je vous ‚coute. RUGGIERI Jeune homme, as-tu song‚ quelquefois, dans tes rˆves d'ambition, que la vicomte de Joyeuse p–t ˆtre ‚rig‚e en duch‚;...que le titre de pair qu'on y joindrait te donnerait le pas sur tous les pairs de France, except‚ les princes du sang royal, et ceux des maisons souveraines de Savoie, Lorraine et ClŠves?...Oui...Eh bien, tu n'as fait que pressentir la moiti‚ de ta fortune...Salut … l'‚poux de Marguerite de Vaudemont, soeur de la reine!...Salut au grand amiral du royaume de France!... JOYEUSE, se levant vivement Avec l'aide de Dieu et de mon ‚p‚e, mon pŠre, nous y arriverons. (Lui donnant sa bourse) Tenez, c'est bien mal r‚compenser la pr‚diction de si hautes destin‚es; mais c'est tout ce que j'ai sur moi. D'EPERNON De par Dieu! tu m'y fais penser, et moi qui oubliais...(Il fouille … son escarcelle) Eh bien, des drag‚es … sarbacane, voil… tout...Je ne pensais plus que j'avais perdu … la prime jusqu'… mon dernier philippus...Je ne sais ce que devient ce maudit argent; il faut qu'il soit tr‚pass‚...Vive Dieu! Saint-M‚grin, toi qui es ami de Ronsard, tu devrais bien le charger de faire son ‚pitaphe... SAINT-MEGRIN Il est enterr‚ dans les poches de ces coquins de ligueurs...Je crois qu'il n'y a plus guŠre que l… qu'on puisse trouver les ‚cus … la rose et les doublons d'Espagne...Cependant il m'en reste encore quelques-uns, et si tu veux... D'EPERNON, riant Non, non, garde-les pour acheter de l'ell‚bore; car il faut que vous sachiez, mon pŠre, que, depuis quelque temps, notre camarade Saint-M‚grin est fou...Seulement, sa folie n'est pas gaie...Cependant, il vient de me donner une bonne id‚e...Il faut que je vous fasse payer mon horoscope par un ligueur...Voyons, sur lequel vais-je vous donne un bon?...Aide-moi, duc de Joyeuse. Ce titre sonne bien, n'est-ce pas? Voyons, cherche... JOYEUSE Que dis-tu de notre maŒtre des comptes, La Chapelle-Marteau?... D'EPERNON Insolvable...En huit jours, il ‚puiserait les tr‚sors de Philippe II. SAINT-MEGRIN Et le petit Brigard?... D'EPERNON Bah!...un pr‚vot de boutiquiers! il offrirait de s'acquitter en cannelle et en herbe … la reine. RUGGIERI Thomas Cruc‚?... D'EPERNON Si je vous prenais au mot, mon pŠre, vos ‚paules pourraient garder pendant quelque temps rancune … votre langue...Il n'est pas endurant. JOYEUSE Eh bien, Bussy Leclerc? D'EPERNON Vive Dieu....un procureur...Tu es de bon conseil, Joyeuse...(A Ruggieri) Tiens, voil… un bon de dix ‚cus noble rose. Fais bien attention que la noble rose n'est pas d‚mon‚tis‚e comme l'‚cu sol et le ducat polonais, et qu'elle vaut douze livres. Va chez ce coquin de ligueur de la part de d'Epernon et fais-toi payer; s'il refuse, dis-lui que j'irai moi-mˆme avec vingt-cinq gentilshommes et dix ou douze pages... SAINT-MEGRIN Allons, maintenant que ton compte est r‚gl‚, je te rappellerai qu'on doit nous attendre au Louvre...Il faut rentrer, messieurs; partons! JOYEUSE Tu as raison; nous ne trouverions plus de chaises … porteurs. RUGGIERI, arrˆtant Saint-M‚grin Comment! jeune homme, tu t'‚loignes sans me consulter!... SAINT-MEGRIN Je ne suis pas ambitieux, mon pŠre; que pourriez-vous me promettre? RUGGIERI Tu n'es pas ambitieux!...Ce n'est pas en amour du moins. SAINT-MEGRIN Que dites-vous, mon pŠre! Parlez bas! RUGGIERI Tu n'es pas ambitieux, jeune homme, et, pour devenir la dame de tes pens‚es, il a fallu qu'une femme r‚unit dans son blason les armes de deux maisons souveraines, surmont‚es d'une couronne ducale... SAINT-MEGRIN Plus bas, mon pŠre, plus bas! RUGGIERI Eh bien, doutes-tu encore de la science? SAINT-MEGRIN Non... RUGGIERI Veux-tu partir encore sans me consulter? SAINT-MEGRIN Je le devrais, peut-ˆtre... RUGGIERI J'ai cependant bien des r‚v‚lations … te faire. SAINT-MEGRIN Qu'elles viennent du ciel ou de l'enfer, je les entendrai...Joyeuse,
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